Paulette, résidente de la rue Oberkampf : "Ces endroits sont toute ma vie"

Paulette, toujours une cigarette à la main, dans son appartement de la rue Oberkampf



Au 36 de la rue Oberkampf, accoudée à la table de sa salle à manger, Paulette nous a parlé de sa vie de quartier, de ses parties de bridges clandestines et de son amour de la cigarette.


Paulette a 86 ans. Le 11e arrondissement ne l'a pas tout à fait vu naître, mais a vu naître sa sœur avec qui elle n'a que 18 mois d'écart. A l'époque, ses parents s'installent rue de la Folie Méricourt après avoir passé plus de 20 ans en Normandie. 


Son père, un agent d'assurance "qui se rêvait pourtant antiquaire", transmet à ses filles la passion des objets rares et des livres anciens. Sa mère, une femme "classique et plutôt discrète", leur inculque les bonnes manières et l'art d'éplucher une pomme en une seule fois. "Bien sûr cela ne servait à rien, mais je pense que c'était sa manière à elle de nous montrer que le plaisir et le jeu peuvent être partout, qu'un peu d'imagination pouvait casser n'importe quelle routine", dit Paulette avec un sourire attendri.

Un quartier, plusieurs vies


Lorsqu'elle se marie avec Gaston, Paulette quitte l'appartement de ses parents pour s'installer non loin de là, au troisième étage d'un immeuble qui fait l'angle entre rue de la Folie Méricourt et la rue Oberkampf. C'est dans ce même appartement qu'ils élèvent leurs trois enfants et qu'ils coulent une vie "paisible et joyeuse", jusqu'à la mort de Gaston en 2011.


Les enfants partis, désormais seule et à la retraite [elle était assistante à la banque de France, ndlr], Paulette décide d'occuper son temps libre. Elle va à la mairie, récolte quelques brochures et informations sur les activités proposées au troisième âge dans son arrondissement, mais ne trouve "rien qui [la] botte". 


"C'est à croire que dès qu'on atteint un certain âge, les réjouissances sont considérées comme hors de notre portée. Si ce n'est pas l'activité qui est mortifère, ce sont les locaux. Si ce ne sont pas les locaux, ce sont les intervenants qui nous parle comme à la maison de retraite."


La ville de Paris selon elle, et plus particulièrement le 11e, ne se soucie guerre de cette tranche de la population, "et sur ce plan là je vous le dis, rien n'a changé !" s'exclame-t-elle, agacée.

Bridge, cigarettes et fiestas


Avec quelques unes de ses amies, Paulette décide alors d'organiser tous les mercredi des parties de bridges dans son salon. De 14h à 19h, "parfois même jusqu'à 22h !", elles enchaînent les uppercut à coup de cartes en buvant du thé et du porto. "Et surtout, dit-elle en recrachant sa fumée de cigarette, on fume énormément". Car Gaston détestait l'odeur de la cigarette. "Moi qui avais arrêté à ma première grossesse, j'ai dû attendre qu'il meurt pour m'y remettre. Alors maintenant c'est tous les jours, sans restriction". 


Quand on lui demande s'il n'est pas difficile de garder fenêtres ouvertes sur les soirées cacophoniques de la rue Oberkampf, Paulette lève les yeux au ciel et rit : "Alors moi les vieux qui se plaignent du bruit de la vie, ça m'agace. Moi je vis les fenêtres ouvertes toute l'année, ceux qui ne sont pas contents, ils n'ont qu'a stopper leur machine auditive. On n'empêche pas les gens de vivre ! Si on veut de la tranquillité, on va à la campagne et puis c'est tout".


Son quartier si vivant, Paulette ne le quitterait pour rien au monde. Car si les activités proposées par la mairie ne la ravissent pas, elle sait qu'elle trouvera toujours à faire dans les mille et un commerces et cafés qui bordent la rue Oberkampf. "Parfois je fais quelques courses au marché Popincourt, d'autres fois je me ballade dans le square Jules Ferry, où le kiosque accueillait autrefois des concerts de rue ou des spectacle de marionnettes. Et puis il m'arrive de m’asseoir à une terrasse de café avec une amie pour boire un coup". 

Une vie de souvenirs


Et même si les jours se ressemblent rue Oberkampf, Paulette ne se lasse pas de les vivre. "Finalement ces endroits sont toute ma vie, dit-elle en tournant la tête vers la fenêtre, et ça fait quelques choses vous savez, de vivre éternellement dans les souvenirs... Mon enfance avec mes parents et ma sœur, ma vie avec Gaston, les enfants...". 


En perdant son regard dans le vague, Paulette semble soudain gagnée par la nostalgie. Puis soudain elle se redresse, "Vous avez-vu en bas, cette brasserie Chez Gaston ? C'est amusant hein, je crois qu'elle a ouvert environ 2 ans après la mort de mon mari, comme s'il me faisait bonjour tous les matins à la fenêtre", s'amuse-t-elle. 


Mais à peine le temps d'approcher de la fenêtre que Paulette se lève "Allez, je vous invite en bas ! Vous méritez bien de reprendre un peu de force après une matinée à écouter les vieux râles d'une mamie ! Je vous conseille la sole, vous allez voir c'est un délice."


Paulette écrase sa cigarette et enfile son manteau de laine avant de prendre, non sans un grand sourire, le bras qu'on lui tend pour descendre les escaliers. De cigarettes en confidences, les souvenirs nous ont creusé l’appétit. Ce n'est pas non plus aujourd'hui qu'on s'ennuiera rue Oberkampf.




Cassiopée Giret


Marché Popincourt
111 boulevard Richard Lenoir
Le mardi et le vendredi de 7h à 15h






Chez Gaston
112 boulevard Richard Lenoir
Tous les jours de 7h à minuit
Délice de sole meunière : 19 €

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